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L'Autre et le monde. Phénoménologies de l'intersubjectivité

Brussels, 8 - 9 December 2022

Durant ces dernières décennies la phénoménologie a constitué une cible récurrente des critiques menées à partir de deux positions philosophiques radicalement opposées. 

D’un côté, la pensée souvent dite « postmoderne » dénonçait, en s’adressant à la phénoménologie, la prétention fondationnelle et solipsiste propre à une démarche subsumant toute altérité et toute différence à la transparence et l’immanence de l’ego constituant. Caractérisées principalement par une démarche constructiviste et interprétativiste, les « philosophies de la différence », en prônant la réinvention constante du discours afin de garantir son ouverture à l’altérité radicale, ont rendu suspect tout questionnement portant sur l’identité et l’unité du réel. Habitée par le paradigme de la présence à soi et cherchant à fonder l’unité du monde à travers l’idée de l’intentionnalité objectivante, la phénoménologie husserlienne a semblé incapable de rendre compte de la complexité et, finalement, de la multiplicité du réel. 

De l’autre côté, le « nouveau réalisme », en tentant d’accéder à l’en soi ou à l’absolu dans une approche allant au-delà du réalisme naïf, mais surtout du « corrélationnisme » moderne, a dénoncé l’idée de la vérité que ce dernier est censé supposer : l’en soi étant inconnaissable, le critère de la vérité ne peut plus reposer sur l’adéquation de la pensée et de la chose, mais uniquement sur l’intersubjectivité comprise comme consensus des membres d’une communauté de sujets pour lesquels la chose en question peut être donnée de la même manière. Bien que ce diagnostic soit discutable, la phénoménologie, traitée comme une des variantes paradigmatiques du corrélationnisme, s’avèrerait ainsi condamnée à rester enfermée dans un « dehors claustral » et jugée incapable de produire un discours sur l’en soi, ce qui semble se confirmer d’autant plus que l’exposé le plus complet de la phénoménologie husserlienne que l’on trouve dans les Méditations Cartésiennes aboutit à une mise en lumière de la constitution intersubjective de l’étant transcendant.

Á la croisée de ces deux critiques se trouve la question centrale pour la tradition phénoménologique du rapport entre la dimension intersubjective de l’expérience et l’étant transcendant ou, plus généralement, le monde. Dans la mesure où pour la phénoménologie transcendantale c’est justement le monde en soi et non pas un « dehors claustral » qui est accessible pour une communauté intermonadique, l’en soi devient l’objet de l’expérience possible pour tout un chacun. Si un tel monde accessible à tous est un, il est pourtant à la fois multiple, puisqu’il se décline selon la multiplicité des mondes de la vie concrets. C’est bien cet entrelacement entre la dimension intersubjective de l’expérience et le monde (un et/ou multiple), entrelacement essentiel pour la tradition phénoménologique que nous proposons d’examiner et cela afin de dégager la spécificité de l’approche phénoménologique laquelle, dès son coup d’envoi dans la philosophie husserlienne, a toujours essayé de problématiser à nouveaux frais les partages conceptuels traditionnels, comme celui tenu entre la subjectivité et l’en soi.

Au lieu de rabattre la problématique phénoménologique propre sur les schémas de pensée traditionnels comme cela a été souvent fait à des fins stratégiques, l’objectif du colloque est de mettre en évidence l’originalité du traitement phénoménologique du rapport entre l’intersubjectivité et le monde que nous invitons à examiner selon plusieurs axes non-exhaustifs :

(1)    les médiations intersubjectives à l’œuvre dans la constitution, dans la donation ou encore dans l’avoir-lieu du monde un et/ou multiple ;

(2)    le rapport entre l’objectivité ou l’événementialité du monde avec le monde de la vie vécue à la première personne ;

(3)    le problème de la portée intersubjective de la méthode phénoménologique ainsi que la transformation du rapport entre le Je (transcendantal ou factif) et l’Autre dans l’attitude phénoménologique ;

(4)  l’implication de l’Autre dans la sphère du langage, ce dernier étant compris principalement dans sa fonction d’ouverture (constitutive ou configuratrice) du monde ;

(5)  la phénoménologie de l’histoire, du social et, plus généralement, de « l’esprit objectif » comme dimensions instauratrices du monde commun.

C’est en suivant le fil conducteur de l’entrelacement de la question de l’intersubjectivité et celle du monde un et/ou multiple que nous proposons de relire la philosophie phénoménologique des XXème et XXIème siècles.