Diversité des faits et unité de vue. Herder et la construction de la philosophie de l'histoire au siècle des Lumières

Wolfgang Pross

pp. 47-71

Pendant sa jeunesse, Herder avait recopié une phrase en français, d’origine inconnue, que l’on considéra toujours comme une des idées de base de sa philosophie de l’histoire : « L’univers, pour qui sauroit l’embrasser d’un seul point de vue, ne seroit qu’un fait unique et une grande vérité. » La phrase est de Diderot, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie ; cette identification de la source permet de mieux reconstituer les déplacements conceptuels qui conduisirent Herder à une naturalisation de l’histoire. Alors que, face à cette nouvelle discipline philosophique, ses contemporains adoptaient une attitude de refus, ou hésitante, Herder avait repris d’abord la distinction introduite par Johann Martin Chladenius entre l’« histoire » comme telle et les procédures de l’« historiographie ». La première, la somme totale des événements historiques, reste en conséquence objectivement inaccessible. L’« historiographie », quant à elle, est liée au point de vue subjectif de l’observateur et à sa connaissance partielle des événements. Mais l’examen fait par d’Alembert de l’enchaînement des vérités logiques en une « série » conduit à mettre en doute le fondement méthodique de cette distinction. C’est le transfert de ces réflexions au monde de l’histoire, entrepris par Court de Gébelin, qui conduit à la définition de la philosophie de l’histoire, par Herder, comme « poursuite de la chaîne de la tradition ». Mais cette philosophie ne se limite pas au monde de l’histoire. Sa recherche des « lois naturelles premières, nécessaires et générales de l’humanité » prend comme point de départ la position de l’homme dans la nature et dans la chaîne des êtres vivants. Cette philosophie s’assigne alors pour tâche d’analyser « le monde naturel de l’histoire », qui ne connaît pas la différence entre physique et morale. L’opposition entre des vérités de raison « nécessaires » et des vérités historiques « contingentes » est supprimée dès lors que le devenir historique apparaît comme la continuation d’un processus naturel dans laquelle des lois naturelles sont aussi à l’œuvre. Dans l’interprétation de Herder, l’histoire de la Grèce et de Rome sont des témoignages exemplaires de cette conception.

Publication details

DOI: 10.4000/rgi.969

Full citation:

Pross, W. (2003). Diversité des faits et unité de vue. Herder et la construction de la philosophie de l'histoire au siècle des Lumières. Revue germanique internationale - ancienne série 20, pp. 47-71.

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