Présentation
Franz Brentano est à l'origine d'une véritable tradition philosophique qui s'est épanouie via ses élèves et les élèves de ceux-ci en Europe entre la fin du xixe siècle et la Deuxième Guerre mondiale. Elle a donné lieu à diverses écoles ou courants philosophiques importants: outre celle de Brentano lui-même (Twardowski, Ehrenfels, Meinong, le jeune Husserl, Stumpf, Marty), également celles fondées par ses élèves, tels l'École de Lvov-Varsovie (Łukasiewicz, Leśniewski, Kotarbiński, Ajdukiewicz, Dąmbska, Tarski), le courant de phénoménologie réaliste (Ingarden, Pfänder, Stein, Scheler et Reinach), ou encore les écoles de Graz (Ameseder, Höfler, Mally, Vitasek, Martinak), de Berlin (Wertheimer, Koffka, Koehler) et de Prague (Kraus, Kastil). Les contributions importantes de cette tradition à la psychologie, descriptive et phénoménologique, ainsi qu'à l'ontologie et à la théorie des valeurs sont aujourd'hui bien connues. Sa contribution à la philosophie du langage l'est, en revanche, beaucoup moins.
En dehors de celles d'Anton Marty - le "ministre des affaires linguistiques" de Brentano - et de Husserl, les réflexions sur la philosophie du langage des membres de cette tradition ont en effet été peu étudiées. Pourtant, la tradition brentanienne est indéniablement traversée par un intérêt pour le langage que ce soit en lui-même ou pour résoudre des problèmes philosophiques. La tradition brentanienne partage avec la tradition analytique la conviction que l'analyse linguistique ne doit pas s'en tenir à l'analyse grammaticale des énoncés, mais doit mettre en évidence leur "structure profonde". Seul ce travail serait susceptible de résoudre des problèmes philosophiques qui ne semblent pas au premier abord de nature linguistique.
Ces deux traditions philosophiques majeures divergent néanmoins l'une de l'autre quant à la nature de cette "structure profonde": alors que la tradition brentanienne considère qu'elle est d'ordre mental, la tradition analytique l'envisage comme étant logique. Au sein de la tradition brentanienne, l'analyse linguistique a en effet pour tâche de mettre en évidence les actes mentaux exprimés par les énoncés, parfois thématisés en termes de "forme interne". Cette divergence de programme explique en grande partie le fait que la tradition brentanienne n'ait jamais véritablement adopté le "tournant linguistique", assumé plus tard par Wittgenstein et les philosophes du langage ordinaire d'Oxford.